Le véritable héroïsme consiste à regarder le monde tel qu’il est et apprendre à l’aimer
(Romain Rolland)
Petite histoire entre un prince courageux qui cherche à parfaire son apprentissage de la vie et un vieux sage.
« Eclaire-moi sur le Sentier de la Vie », demanda le Prince.
« Mes paroles s’évanouiront comme les traces de tes pas dans le sable, répondit le Sage. Cependant je veux bien te donner quelques indications.
Il se trouva bientôt face à une grande porte sur laquelle on pouvait lire :
« C’était bien là mon intention, pensa le Prince, car si certaines choses me plaisent dans ce monde, d’autres ne me conviennent pas. » Et il entama son premier combat.
Son idéal, sa fougue et sa vigueur le poussèrent à se confronter au monde, à entreprendre, à conquérir, à modeler la réalité selon son désir. Il y trouva le plaisir et l’ivresse du conquérant, mais pas l’apaisement du cœur. Il réussit à changer certaines choses mais beaucoup d’autres lui résistèrent.
« Qu’as-tu appris sur le chemin ? » demanda le sage
« J’ai appris, répondit le Prince, à discerner ce qui est en mon pouvoir et ce qui m’échappe, ce qui dépend de moi et ce qui n’en dépend pas ».
« C’est bien, dit le Vieil Homme. Utilise tes forces pour agir sur ce qui est en ton pouvoir. Oublie ce qui échappe à ton emprise. »
Puis il se trouva face à une seconde porte. On pouvait y lire :
« C’était bien là mon intention, pensa-t-il.
Les autres sont source de plaisir, de joie et de satisfaction mais aussi de douleur, d’amertume
et de frustration. » Et il s’insurgea contre tout ce qui pouvait le déranger ou lui déplaire chez ses semblables. Il chercha à infléchir leur caractère et à extirper leurs défauts. Ce fut là son deuxième combat.
« Qu’as-tu appris sur le chemin ? »
« J’ai appris, répondit le Prince, que les autres ne sont pas la cause ou la source de mes joies et de mes peines, de mes satisfactions et de mes déboires. Ils n’en sont que le révélateur ou l’occasion. C’est en moi que prennent racine toutes ces choses. »
Soit reconnaissant envers ceux qui font vibrer en toi joie et plaisir. Mais sois-le aussi envers ceux qui font naître en toi souffrance ou frustration, car à travers eux la Vie t’enseigne ce qui te reste à apprendre et le chemin que tu dois encore parcourir. »
Il arriva ensuite devant une porte où figuraient ces mots :
« Si je suis moi-même la cause de mes problèmes, c’est bien ce qui me reste à faire, » se dit-il.
Et il entama son 3ème combat. Il chercha à infléchir son caractère, à combattre ses imperfections, à supprimer ses défauts, à changer tout ce qui ne lui plaisait pas en lui, tout ce qui ne correspondait pas à son idéal. Après bien des années de ce combat où il connut quelque succès mais aussi des échecs et des résistances,
Qu’as-tu appris sur le chemin ? »
« J’ai appris, répondit le Prince, qu’il y a en nous des choses qu’on peut améliorer, d’autres
qui nous résistent et qu’on n’arrive pas à briser. » mais je commence à être las de ma battre contre tout, contre tous, contre moi-même. Cela ne finira-t-il jamais ? Quand trouverai-je le repos ? J’ai envie de cesser le combat, de renoncer, de tout abandonner, de lâcher prise. »
« C’est justement ton prochain apprentissage, dit le Vieux Sage. Mais avant d’aller plus loin, retourne-toi et contemple le chemin parcouru. » Et il disparut.
Regardant en arrière, le Prince vit dans le lointain la 3ème porte et s’aperçut qu’elle portait sur sa face arrière une inscription qui disait :
Le Prince s’étonna de ne point avoir vu cette inscription lorsqu’il avait franchi la porte la première fois, dans l’autre sens.
« Quand on combat on devient aveugle, se dit-il. »
Il vit aussi, gisant sur le sol, éparpillé autour de lui, tout ce qu’il avait rejeté et combattu en lui :
ses défauts, ses ombres, ses peurs, ses limites, tous ses vieux démons. Il apprit alors à les reconnaitre, à les accepter, à les aimer. Il apprit à s’aimer lui-même sans plus se comparer, se juger, se blâmer.
« Qu’as-tu appris sur le chemin ? »
« J’ai appris, répondit le Prince, que détester ou refuser une partie de moi, c’est me condamner
à ne jamais être en accord avec moi-même. J’ai appris à m’accepter moi-même, totalement,
inconditionnellement. »
Maintenant tu peux repasser la 3ème porte. »
A peine arrivé de l’autre côté, le Prince aperçut au loin la face arrière de la seconde porte et y lut :
Tout autour de lui il reconnut les personnes qu’il avait côtoyées dans sa vie ; celles qu’il avait aimées comme celles qu’il avait détestées. Celles qu’il avait soutenues et celles qu’il avait
combattues. Mais à sa grande surprise, il était maintenant incapable de voir leurs imperfections,
leurs défauts, ce qui autrefois l’avait tellement gêné et contre quoi il s’était battu.
Il rencontra à nouveau le Vieux Sage.
« Qu’as-tu appris sur le chemin ? » demanda ce dernier.
J’ai appris, répondit le Prince, qu’en étant en accord avec moi-même, je n’avais plus rien à
reprocher aux autres, plus rien à craindre d’eux. J’ai appris à accepter et à aimer les autres
totalement, inconditionnellement. »
« C’est bien, » dit le Vieux Sage. C’est la seconde Sagesse. Tu peux franchir à nouveau la deuxième porte.
Arrivé de l’autre côté, le Prince aperçut la face arrière de la première porte et y lut :
Curieux, se dit-il, que je n’aie pas vu cette inscription la première fois.
Il regarda autour de lui et reconnut ce monde qu’il avait cherché à conquérir, à transformer, à changer. Il fut frappé par l’éclat et la beauté de toute chose. Par leur perfection. C’était pourtant le même monde qu’autrefois. Était-ce le monde qui avait changé ou son regard ?
Il croisa le Vieux Sage qui lui demanda.
« Qu’as-tu appris sur le chemin ? »
« J’ai appris, dit le Prince, que le monde est le miroir de mon âme. Que mon âme ne voit pas le monde, elle se voit dans le monde. Quand elle est enjouée, le monde lui semble gai.
Quand elle est accablée, le monde lui semble triste.
Le monde, lui, n’est ni triste ni gai. Il est là ; il existe ; c’est tout. Ce n’était pas le monde qui me troublait, mais l’idée que je m’en faisais. J’ai appris à accepter sans le juger, totalement, inconditionnellement. »
C’est la 3ème Sagesse, dit le Vieil Homme.
Te voilà à présent en accord avec toi-même, avec les autres et avec le Monde. »
Un profond sentiment de paix, de sérénité, de plénitude envahit le Prince. Le Silence l’habitat.
« Tu es prêt, maintenant, à franchir le dernier Seuil, dit le Vieux Sage, celui du passage du silence de la plénitude à la Plénitude du Silence ».
Et le Vieil Homme disparut.
Texte de Charles Brulhart, Décembre 1995
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